Dans huit pays du monde d’aujourd’hui, être homosexuel peut vous valoir la peine de mort. Simplement l’être, sans même l’avoir dit à quiconque, sans avoir manifesté dans les rues pour revendiquer vos droits légitimes. Pour peu que les autorités s’aperçoivent de votre homosexualité, voire ne puissent que la soupçonner, vous pouvez vous trouver très vite devant un juge qui vous expliquera que votre orientation sexuelle est à elle seule un crime contre la société, une abomination que vous paierez de votre vie, et qui vous enverra au nom de l’État vers la mort – tout cela parce que vous étiez homosexuel.
Le droit positif le commande en Afghanistan, en Arabie saoudite, à Brunei, en Iran, en Mauritanie si vous êtes musulman et de sexe masculin, au Qatar si vous êtes de confession musulmane et si votre homosexualité est découverte lors d’une relation extraconjugale, au Soudan si vous avez le malheur de persister malgré deux condamnations antérieures, et au Yémen. A ces États-nations s’ajoutent les États du nord du Nigeria où a été adoptée la shari’a, ainsi que le Jubaland, au sud-ouest de la Somalie, où plusieurs Etats ont fait de même, et, histoire de garder le pire pour la fin, dans ce qu’il reste du «califat» créé en Irak et en Syrie par l’organisation terroriste «Etat islamique», désormais réduit à une enclave autour de la ville syrienne de Deir Ezzor.
Si les États-Unis ne sont pas sur cette liste, étant néanmoins le dernier pays occidental à retenir l’usage de la peine capitale, se retrouver dans le death row, le couloir de la mort, en raison de son homosexualité, plus que d’un crime que l’on aurait commis, est néanmoins possible. C’est le tragique enseignement d’une affaire révélée par la presse de Floride et tragiquement révélatrice du climat de haine actuel sur place.
Un jury pollué par l’homophobie
Dans l’édition du 22 juin du Miami Herald de Floride, l’éditorialiste Leonard Pitts, Jr. évoque le cas d’un condamné à mort dénommé Charles Rhines. En 1992, alors qu’il cambriole une boutique de beignets à Rapid City, dans le Dakota du Sud, Rhines est surpris par un jeune employé du magasin, Donnivan Schaeffer, âgé de vingt-deux ans. Rhines le poignarde à l’abdomen puis dans le dos, et alors que le jeune Donnivan implore son agresseur de l’épargner, Rhines lui plante sa lame dans le bas du crâne. Un crime de sang-froid, pour lequel il n’est aucune justice au monde qui ne rechercherait pas le plus sévère des châtiments.
Mais déjà, la peine de mort n’est pas le plus sévère des châtiments. Tout simplement, elle n’est pas un châtiment. Elle est ce que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme appelle, en son Article 5, un traitement cruel, inhumain et dégradant. Son prétendu effet dissuasif, Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, avait su quoi en dire à l’Assemblée nationale en demandant l’abolition de la peine capitale en France. Le même Badinter qui avait attribué à Julien Clerc, avec sa chanson tombée en désuétude après 1981 mais non moins magnifique Assassin assassiné, un mérite au moins aussi important que le sien dans la disparition du droit français du meurtre officialisé en peine judiciaire. Laquelle disparition fut actée plus avant par Jacques Chirac, Président de la République, qui la fit entrer dans la Constitution.

Ici, Charles Rhines aurait risqué la perpétuité. Mais aux États-Unis, où la peine de mort est retenue par la justice fédérale et où chacun des États de l’Union est libre de l’appliquer ou de l’abolir, il en est tout autrement. Au Dakota du Sud, les jurés qui devaient décider du sort de Rhines avaient le choix entre une perpétuité réelle, sans possibilité de libération conditionnelle (life without parole) ou, donc, la peine de mort. Parce qu’ils auraient estimé, par exemple, que son crime était trop grave, ou parce qu’ils voulaient faire un exemple ? Même pas.
Cela n’a bien sûr aucun rapport avec son crime, mais Charles Rhines se trouve être homosexuel, et si un tel fait qui ne concerne que la vie privée ne devrait jouer aucun rôle dans le jugement d’une affaire pénale, les jurés de Rhines ont décidé que le débat de vie et de mort dont ils étaient chargés avait bel et bien à s’en mêler.
Enclins à ne prononcer contre Rhines qu’une perpétuité réelle, donc à lui éviter la peine de mort, nos jurés populaires du Dakota du Sud ont jugé utile de se demander quelle serait la réaction de l’accusé à l’idée de se trouver, pour le restant de ses jours, enfermé dans une prison pour hommes. Et il a fallu que leur imagination fertile les amène à croire que, parce qu’il est homosexuel, Rhines y prendrait du plaisir.
Avant de se déclarer prêts à rendre leur verdict, ils avaient même adressé au juge une note par laquelle ils demandaient si Rhines serait logé parmi les détenus ordinaires, s’il pourrait «frimer» auprès des «jeunes gens» au sujet du crime qui l’amenait là, et même s’il pourrait contracter un mariage homosexuel puis jouir de parloirs sexuels avec son conjoint. Il était même question de savoir si, tout simplement, il lui serait attribué un compagnon de cellule … Autant d’éléments sans rapport aucun avec le fond du dossier, mais qui semblaient essentiels aux jurés du Dakota du Sud pour décider du sort d’un homme, fût-il un criminel. Et la décision, dont plusieurs des jurés admirent par la suite sous serment qu’elle avaient été lourdement influencée par leurs opinions personnelles sur les personnes LGBT, fut que Rhines méritait la mort.
«Envoyer un gay en prison, c’est l’envoyer là où il rêve d’aller», «Il ne devrait pas avoir le droit de passer le reste de sa vie avec d’autres hommes en prison», auraient éructé des membres du jury, issus de la communauté rurale et fermière du Dakota du Sud où s’est produit le meurtre. En d’autres termes, si Rhines avait été hétérosexuel, la probabilité d’une perpétuité réelle aurait été élevée. Mais il est homosexuel, et pour les gens qui avaient son sort entre leurs mains, ce fait a compté plus encore que son crime.
La Cour suprême avalise l’injustice
Pas si vite, a pensé la défense de Rhines. La peine de mort est peut-être légale au Dakota du Sud, mais tout en haut de la justice américaine, c’est la Cour suprême qui décide, celle qui se tient bien au-delà de la souveraineté judiciaire des États au sein de l’Union. Et par chance, le 6 mars 2017, dans l’affaire Peña Rodriguez contre Colorado, cette même Cour suprême avait estimé que les tribunaux devaient procéder à une exception à la règle du secret dans les délibérations des jurys populaires sitôt qu’il était prouvé que celles-ci résultaient de préjugés raciaux ou ethniques.
Bien sûr ! Une juridiction suprême condamnant les délibérations polluées de préjugés sur un fondement racial ou ethnique n’allait pas se déjuger, s’agissant de préjugés fondés sur l’orientation sexuelle. Il suffisait de faire appel à elle pour la voir, à coup sûr, casser la peine capitale prononcée contre Rhines.
Et pourtant. La Cour suprême des États-Unis a refusé d’entendre l’affaire, envoyant ainsi Rhines, selon toute vraisemblance, à une exécution prochaine, due non au crime qu’il a perpétré, indéfendable et punissable sans discussion possible, mais à sa seule orientation sexuelle. Ou, plus exactement, aux fantasmes qu’elle a créés chez ses jurés.
«En Amérique, vous êtes puni pour ce que vous faites. Pas pour ce que vous êtes.»
Si Donald Trump n’a pas créé les préjugés aux États-Unis, il n’en a pas moins fait ses produits d’appel comme candidat, qu’il a largement conservés une fois devenu Président. Dans un pays qui consacre le jugement par les pairs, le mauvais exemple donné depuis le sommet de l’État ne peut qu’avoir des conséquences sur les délibérations judiciaires, et dans un système de common law où le précédent est roi, l’injustice même criante a tôt fait de lier les mains des juges.
Si tout s’était passé autrement et que Charles Rhines avait été condamné par un jury totalement indifférent à son homosexualité, mais ne voyant de châtiment approprié à son crime que la peine de mort, il n’en serait pas moins demeuré qu’assassiner Rhines avec l’imprimatur des pouvoirs publics n’aurait été qu’un meurtre de plus, qui n’allait ni ramener sa victime à la vie, ni dissuader quiconque de faire de même puisque déjà Rhines ne l’avait pas été quand il a tué Donnivan Schaeffer. Mais au banc des accusés, l’homophobie des jurés a remplacé Rhines le criminel par Rhines l’homosexuel.
En conclusion de son éditorial, Leonard Pitts, Jr. fustige la peine de mort, qualifiée de «vestige barbare de la justice frontalière», celle du temps de la conquête de l’Ouest. Et ses derniers mots s’avèrent d’une pertinence et d’une force éclatantes, dans une Amérique dont le Président rêve de restaurer une «justice frontalière» et qui se découvre inhumaine au point de séparer les familles :
«Que la sentence soit la vie ou la mort, il y a une chose qui devrait être immuablement vraie :
En Amérique, on vous punit pour ce que vous faites.
Pas pour ce que vous êtes.»