Depuis la fin 2017, à coups de #MeToo et #BalanceTonPorc, les femmes en France et dans le monde ont mis fin aux tabous dans la vie publique sur le harcèlement sexuel. Des hommes influents adeptes du droit de cuissage sont tombés sous les mots de leurs victimes. La parole se libère, les femmes s’affirment et font enfin triompher leurs droits. Et pourtant, il est un domaine où le règne de la peur n’a pas disparu pour elles, à travers le monde et notamment en France où les pouvoirs publics tardent désespérément à réagir – les violences, privées et publiques, contre les femmes.

Pour une femme violentée, que ce soit en privé par son conjoint ou, comme il devient trop commun, dans l’espace public devenant chaque jour un peu plus pour toutes une zone de non-droit, un smartphone ou une tablette tactile pourra bientôt, rien de moins, lui sauver la vie.

C’est ce qu’est venue annoncer à la Maison du Barreau de Paris, ce vendredi 31 mai à 18H30, l’association Avocats Femmes et Violences (AFV) à l’initiative de laquelle une application pour smartphones, iPhones, tablettes tactiles Android et iPad sera disponible en septembre, application innovante et dont le nom dit tout le propos : SOS Violences.

AFV, un combat de vingt ans

Maître My-Kim Yang-Paya, longtemps Présidente d’AFV devenue cette année Présidente d’Honneur, a accueilli les invitées de l’association – les hommes n’étant qu’au nombre de deux, rejoints plus tard par un troisième – dans le Salon Dominique de la Garanderie, ainsi baptisé en l’honneur de la première femme à avoir accédé au Bâtonnat à Paris, par un rappel historique sur AFV qui a déjà plus de vingt ans d’existence.

En 1997, la Procureure Michèle Bernard-Requin avait convoqué, à la Chambre des Référés, les avocats sensibilisés aux violences contre les femmes. Une petite centaine se sont présentés, auxquels la magistrate a déclaré : «Ce sujet est lourd à porter. Il faut former, il faut fédérer, et vous devez essayer de vous réunir». C’est ce qui a convaincu Maître Yang-Paya de cofonder AFV avec son associée d’alors, la regrettée Colette Holstein, très engagée dans la défense des femmes victimes de violences, militante féministe dans la veine de sa consœur Maître Gisèle Halimi. Maître Sonia Cohen-Lang fut aussi parmi les premières dirigeantes mais dût renoncer à ses responsabilités au moment de son élection au Conseil de l’Ordre, ne s’estimant pas en mesure de mener de front les deux tâches.

Le Barreau de Paris a lui aussi rempli son rôle, notamment à travers Laurence Le Tixerant, du Bureau des Associations qui s’occupe des nombreuses structures homologuées par le Barreau parisien. C’est elle qui envoie les convocations et tient à jour la liste des adhérentes, apportant ainsi un soutien précieux.

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Maîtres My-Kim Yang-Paya et Céline Marcovici

Au moment de sa fondation, AFV s’était mise en relation avec d’autres associations qui, depuis lors, ont changé de nom ou tout simplement disparu, telles que Violences Info Service aujourd’hui dotée d’un autre nom ou l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail qui existe toujours. Les réunions entre les différentes associations ont dégagé un sujet majeur du moment – l’impossibilité pour les femmes victimes de porter plainte. Il a fallu qu’AFV et les autres associations effectuent un fort lobbying à ce sujet, ainsi que pour résoudre un autre problème majeur qui était de mettre à l’abri les plaignantes.

Maître Yang-Paya a rappelé qu’AFV ne défendait pas seulement, malgré ce que son nom peut laisser entendre, les femmes victimes de violences conjugales, mais toutes les femmes victimes de tous les types de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques, sexuelles, parfois même silencieuses et invisibles.

«Lorsque des victimes se faisaient renvoyer du commissariat avec une simple main courante et se retrouvaient dans un cabinet d’avocat, il nous fallait téléphoner et insister pour que leur plainte soit prise», s’est souvenue Maître Yang-Paya. «Nous contactions les Substituts de permanence, et c’est ainsi que nous avons créé des liens avec les magistrats, qu’il est important de sensibiliser.»

Petit à petit, à partir de là, de nombreuses mesures et réformes ont vu le jour, qui correspondaient au combat que menait désormais AFV et qu’elle mène toujours.

Une lutte mondiale – et en France, un constat accablant

«Je pense qu’il faut continuer à le mener», a insisté Maître Yang-Paya, «et j’aimerais rappeler une chose que je trouve très belle, pour expliquer ce qu’est le combat des femmes victimes de violences et plus encore. Lors de la Quatrième Conférence Mondiale des Nations Unies sur les Femmes qui s’est tenue en 1995 à Beijing, il a été reconnu que la violence à l’encontre des femmes constituait un obstacle à l’accomplissement des objectifs d’égalité, de développement et de paix, qu’elle enfreignait et portait atteinte à la jouissance des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Je pense que, si l’opinion publique le comprend, on va faire avancer les choses.»

Les mesures-phares en la matière ont d’ailleurs été prises depuis le début de ce siècle, sous l’égide de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui condamnait l’État français pour son manque de mesures de protection des femmes victimes de violences.

Les chiffres, catastrophiques, peinent à évoluer :

– Dans l’espace public, cinq millions de femmes, soit 25% des femmes de 20 à 69 ans, déclarent subir chaque année au moins une forme de violence : 15 500 femmes sont victimes de violences sexuelles, 200 000 de violences physiques, 800 000 d’insultes, un million subissent le harcèlement et les atteintes sexuelles, et trois millions, soit 15%, font l’objet de «drague» inopportune ;

– Dans la sphère privée, chaque année, en moyenne, 225 000 femmes de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel concubin ou partenaire ;

– Chaque année, 120 femmes meurent sous les coups de leur conjoint, amant ou petit ami, actuel ou ancien là encore.

Celles qui survivent restent marquées, tant physiquement que moralement et psychologiquement. C’est là qu’entrent en action les avocates d’AFV pour accompagner ces femmes en détresse.

Sur toutes ces victimes, seulement 19% déclarent avoir déposé plainte en gendarmerie ou au commissariat, ce qui est très peu. Souvent, elles craignent les représailles – même s’il convient de reconnaître que les choses ont évolué et que des mesures ont été prises pour protéger les femmes victimes de violences après un dépôt de plainte. Pour autant, ces femmes continuent de ne pas avoir confiance en les autorités judiciaires, encore moins en les brigades de gendarmerie quand elles vivent en milieu rural.

Informer pour lutter

Avec Maître Céline Marcovici, Maître Yang-Paya a coécrit pour le compte d’AFV le Guide juridique des femmes victimes de violences, souhaitant produire un guide clair et précis qui rappelle tous les textes et moyens d’action. «Au départ, je souhaitais l’intituler Les armes juridiques pour combattre la violence faite aux femmes,» a précisé Maître Yang-Paya, «mais Alma Editeur m’a répondu ‘Ce titre est un peu violent, il nous faut un titre un peu plus serein.’»

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Plus récemment, AFV a organisé un colloque sur le thème du viol conjugal, également à la Maison du Barreau, et Maître Marcovici a traité du secret médical dans les violences faites aux femmes à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil. Régulièrement contactée par le milieu hospitalier, AFV pensait être sollicitée en premier lieu pour les patientes mais s’est rendue compte que c’étaient les infirmières, soignantes et aides-soignantes qui étaient victimes de violences, subissant viols et agressions.

Plusieurs nouveaux colloques sont prévus, dont l’un en septembre qui sera assuré par Maître Laure Tric, Trésorière d’AFV, et consacré à l’emprise sectaire sur les femmes jihadistes, puis un autre le 9 novembre sur l’ordonnance de protection.

AFV tient également une permanence téléphonique avec un numéro dédié (0820 20 34 28), assurée par les membres de l’association à titre bénévole, chaque mardi et jeudi de 15H à 19H. Destinée au départ aux assistants sociaux en difficulté face à des victimes de violences, la permanence a fini par accueillir de plus en plus d’appels de femmes vivant en province et souhaitant obtenir un premier renseignement, car autant les Parisiennes disposent d’un numéro déjà en place, autant les provinciales sont plus démunies sur ce point.

SOS Violences, pourquoi et comment ?

La difficulté, bien sûr, est que des avocates de Paris ne peuvent pas intervenir au titre de l’aide juridictionnelle pour des clientes en province. Les membres d’AFV le font à tour de rôle, et c’est leur engagement, s’il se présente un dossier urgent. C’est précisément l’objet même de l’association, puisqu’il s’agit de dossiers lourds, qui demandent du temps et de la patience ainsi qu’une sensibilisation à l’attitude et aux revirements fréquents chez les victimes. L’intérêt de l’association est donc de se partager les dossiers.

«C’est vrai que nous ne sommes pas beaucoup de membres,» a déploré Maître Yang-Paya. «Plus nous serons nombreuses, mieux ce sera pour partager ces dossiers qui sont lourds, y compris psychologiquement, et demandent à être bien menés, ce qui exige une sensibilisation aux femmes victimes de violences.»

Le Guide juridique des femmes victimes de violences est mis gratuitement à la disposition des associations. Il est aussi téléchargeable, car il n’est pas toujours facile d’entrer dans une librairie pour acheter ou commander ce genre d’ouvrage … En tout cas, AFV a dû s’adapter aux nouvelles technologies, et avec une motivation particulière en la loi Schiappa actuellement à l’étude au Sénat, selon laquelle les outrages sexistes avec flagrance seraient punis d’une amende forfaitaire, AFV a décidé de créer une application.

Maître Yang-Paya a remercié le Barreau de Paris du concours qu’il y a apporté, puisqu’AFV avait bien l’idée de l’application mais non les moyens financiers pour la réaliser et la faire vivre, l’association ayant donc postulé au Prix du Budget Participatif du Barreau et l’ayant remporté, ce qui permet à l’application d’exister, pour le moment sur smartphone. Celle-ci devra être amplement partagée afin que chaque femme – mais aussi chaque homme, car ces cas existent – victime de violences puisse connaître ses droits.

Maître Yang-Paya a conclu en lisant la liste des membres de l’association, peu nombreuses et c’est ce qui motive son souhait de voir de nouvelles consœurs les rejoindre, puis en passant la parole à Maître Céline Marcovici qui lui succède à la présidence d’AFV, dont Maître Yang-Paya est maintenant Présidente d’Honneur. C’est par un baiser que l’ancienne Présidente a passé symboliquement le flambeau à la nouvelle, puis la parole pour présenter l’application.

Quand la technologie devient une arme pour les victimes

Maître Céline Marcovici a précisé d’entrée que, pour l’heure, SOS Violences était encore en cours de préparation, la version finale étant prévue pour la rentrée 2018.

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En fait, une application gouvernementale existe déjà depuis deux ans, mais qui n’est disponible que sur les appareils de marque Samsung et utilisant le système Android, non sur ceux fonctionnant avec iOS. Les iPhone et iPad étant largement répandus, toute victime qui en possède un se voit donc incapable d’utiliser dessus l’application. C’est pourquoi AFV a pour projet de fournir pour sa part une application qui sera compatible sur tous les appareils et utilisable quel que soit le type de portable ou tablette que l’on détient.

A l’instar du Guide juridique, SOS Violences est conçue pour être facile d’accès et servir, au-delà des victimes elles-mêmes, également aux professionnels pouvant intervenir dans le cadre de cette lutte, notamment dans le corps médical et parmi les psychologues, souvent très actives aux côtés des femmes victimes de violences.

– La page d’accueil comporte des onglets indiquant, avec géolocalisation, les coordonnées des commissariats et unités médico-judiciaires (UMJ) les plus proches, permettant à une femme agressée en pleine rue de savoir où aller. Conçue à Paris pour AFV qui y a son siège, SOS Violences sera progressivement étendue à tous les autres départements.

Lorsque l’on clique sur un commissariat, l’on obtient son adresse, son numéro et un plan Google Maps pour s’y rendre.

– Une autre page recense les principales associations d’aide aux femmes victimes de violences, avec une mise à jour prévue pour garder les coordonnées exactes.

– Un onglet est spécialement consacré aux coordonnées du Tribunal de Grande Instance, désormais situé aux Batignolles et non plus au Palais de Justice sur lequel donnent les fenêtres de la Maison du Barreau, ainsi qu’au Bureau d’Aide juridictionnelle.

– Une rubrique Numéros utiles fournit ceux dont l’on peut avoir besoin lorsque l’on vient de subir une agression : Police-Secours, pompiers, SAMU et SOS Médecins.

 

 

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L’application étant toujours en développement, les images qu’a montré Maître Marcovici sont les seules disponibles à ce jour. Mais d’autres onglets encore figureront dans l’application.

– Les hébergements possibles seront listés et expliqués, car lorsqu’une femme victime de violences conjugales appelle la Police, soit le conjoint est amené au commissariat, soit les policiers maintiennent le statu quo et la victime se trouve en danger, ne sachant pas où aller. L’onglet à venir donnera donc une liste d’hébergements adéquats.

Dans ce domaine, le problème est que, souvent, ces hébergements ne sont pas d’accès direct, les victimes y étant adressées par des associations ou des travailleurs sociaux. Le dernier Plan interministériel a vocation à remédier à cette situation, tant en augmentant le nombre de centres qu’en permettant l’accès direct à ceux-ci aux victimes.

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– Un rappel sera disponible des démarches de base à effectuer : déposer une plainte et non une simple main courante qui ne sera d’aucun effet immédiat, et si, comme il arrive encore trop souvent, la Police ou la gendarmerie refuse d’enregistrer la plainte – en violation de la loi, à savoir de l’Article 15.3 du Code de procédure pénale –, écrire au Procureur de la République.

– Une présentation des formes de violences sera proposée, les violences n’étant pas uniquement conjugales mais aussi sexuelles et pouvant prendre la forme du harcèlement, moral ou sexuel, ou se manifester en tant que violences psychologiques.

La loi Schiappa en cours d’examen au Sénat prévoit en outre le harcèlement de rue, qui prendra sa place le temps venu dans cet onglet de l’application.

Enfin, Maître Marcovici a rappelé l’existence du flyer d’AFV, qui résume l’ensemble des activités de l’association et a vocation à être distribué aussi largement que possible – à commencer par les exemplaires mis à la disposition des participant(e)s à cette réunion. Au dos figurent notamment les coordonnées, mises à jour, des principales associations d’aide aux femmes victimes de violences.

En attendant, bien sûr, l’application en septembre.

 

 

Face aux violences, l’avocat à son mot à dire

Puis Maître Catherine Perelmutter, membre d’AFV, a pris la parole pour conclure la réunion.

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Maître Catherine Perelmutter

Elle a souligné que les violences contre les femmes étaient un sujet important non pas pour les seules femmes victimes, mais aussi pour les enfants. Les études scientifiques dans ce domaine démontrent que les enfants qui assistent à ces violences dans la famille en sont, eux aussi, les victimes, avec tous les risques que cela comporte pour leur avenir.

Elle a rappelé que le but d’AFV n’était évidemment pas de maintenir les femmes victimes dans cette situation pour toujours, mais bien de les accompagner jusqu’au procès pour leur permettre ensuite de reprendre une vie normale, le statut de victime ne pouvant être que ponctuel.

Enfin, Maître Perelmutter a souligné que, si le milieu féministe compte pléthore d’associations, AFV a néanmoins un rôle unique à jouer, car lorsque les violences contre les femmes se produisent, l’avocat à son mot à dire.