Aucune femme ne doit se taire face au viol. C’est un principe fondamental de droit et la leçon majeure de l’année 2017, après la révélation des abus sexuels dont le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein avait fait son habitude, la création dans la foulée des hashtag #MeToo et, en France, #balancetonporc, puis celle du mouvement Time’s Up. Une libération mondiale de la parole face à laquelle certaines femmes ont bien tenté, par des tribunes médiatiques, de défendre le système patriarcal dans ce qu’il a de pire. Pour elles, peine perdue.

Aucune femme ne doit se taire face au viol, car elle a le droit d’en parler et, pour toutes les autres, le devoir de le faire, même si le second est infiniment plus difficile à mettre en œuvre que le premier. Pour la victime, le silence devient une prison, et pour des hommes que le viol concerne évidemment beaucoup moins, qu’une femme ne parle pas, c’est le signe qu’elle était consentante. Vraiment ?

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Aucune femme ne doit se taire face au viol, mais qui pourrait vouloir, homme ou femme, que toute victime qui se tait, a fortiori pendant l’acte même où, la plupart du temps, la moindre défense tombe – c’est bien ce qui fait la «force» du violeur –, soit en effet consentante, toute poursuite contre son violeur si ensuite elle le dénonce devenant nulle et non avenue ? Un pays vient juste d’annoncer qu’il l’envisage. Pas de clichés : non, ce n’est pas un de ces pays en train de se débarrasser, à la peine, de ses lois permettant au violeur d’échapper au châtiment s’il épouse sa victime. C’est la supposée terre natale des gentlemen – la Grande-Bretagne.

Une «conviction raisonnable» du consentement ?

C’est ce qu’a relaté le 23 janvier le Times of London, quotidien le plus réputé et influent du pays. L’avocate Alison Saunders, Directrice des Poursuites pénales (Director of Public Prosecutions ; DPP), autrement dit directrice du Crown Prosecution Service qui est aux tribunaux du Royaume-Uni ce que le Parquet est aux juridictions françaises, a déclaré que si une femme n’émettait pendant un viol aucune protestation, le violeur pouvait soulever devant la justice qu’il existait une «conviction raisonnable» (reasonable belief) quant au consentement de la victime, ce qui entraînerait une renonciation à poursuivre le suspect.

Déjà, une femme victime de violences n’a pas toujours, loin s’en faut, le réflexe de se rendre auprès de la Police ne serait-ce que pour une main courante, les traces des coups qu’elle a reçus disparaissant progressivement et aucun institut médico-judiciaire ne pouvant plus exercer aucun constat probant. Comme l’a montré l’affaire Weinstein, les victimes de viol et sévices sexuels peuvent parfois devoir se taire pendant des années, voire des décennies. Autant dire qu’exiger d’une femme qu’elle proteste pendant son viol même, c’est montrer qu’on a passé la fin 2017 au fin fond d’un gouffre.

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Trois Police Constables féminins du Grand Manchester

 

 

 

 

Comment un tel simplisme d’un autre temps est-il seulement envisageable dans une démocratie soucieuse d’Etat de droit comme l’est le Royaume-Uni, où malgré même la victoire populiste remportée lors du vote sur le Brexit, le Parti conservateur au pouvoir n’égale en rien le sexisme affiché de l’autre grand vainqueur populiste du monde anglo-saxon, le Président américain Donald Trump ?

En fait, la raison n’en a rien d’idéologique. Au contraire, elle se veut d’un pragmatisme désarmant, au point d’en devenir cynique et sadique.

Boucs-émissaires des échecs de la justice

Si Alison Saunders veut désormais que ce soient ses sœurs britanniques les fautives en cas de viol si elles se taisent, c’est parce qu’elle vient de traverser une série d’échecs cuisants dans des procès de violeurs présumés, dont l’un, plus retentissant encore, contre l’assistant parlementaire d’un élu du Parti conservateur.

Samuel Armstrong, âgé de vingt-quatre ans, était le chef du personnel de Craig Mackinlay, député du Kent. Ancien vice-leader de l’UK Independence Party (UKIP), le parti qui mena, sans lui donc, le camp du Brexit à la victoire en 2016, il siège depuis 2005 en tant que Tory. Une jeune femme d’une vingtaine d’années avait accusé Armstrong de viol après deux rapports sexuels avec lui à l’issue d’une soirée où les deux jeunes gens avaient fait connaissance. Parce qu’elle ne lui a pas demandé de s’arrêter cette nuit-là, la cour anglaise qui jugeait Armstrong l’a déclaré non coupable.

Entretemps, le scandale qui avait rejailli sur Craig Mackinlay avait poussé le parlementaire à se défaire de son collaborateur, qui n’a eu aucun mot assez dur contre Alison Saunders suite à sa déclaration, estimant que celle-ci arrivait trop tard et que la DPP lui devait des excuses.

D’autres hommes accusés de viol, dénommés Liam Allan, Isaac Itiary et Samson Makele, avaient été détenus pendant plusieurs mois avant que, comme pour Armstrong, des preuves à décharge soient produites tardivement dans la procédure, permettant aux jeunes hommes d’être exonérés de toute charge.

Don't Get Raped
« Don’t get raped », « Il ne faut pas se faire violer », devient avec un mot et une lettre de moins « Don’t rape », « Il ne faut pas violer »

 

 

Humiliée par ces différents échecs, Alison Saunders veut donc désormais que ce soient les femmes qui ont tort. A un autre journal britannique, l’Evening Standard¸ elle est allée jusqu’à déclarer qu’il n’était même pas suffisant qu’une femme dise avoir été violée pour être crédible car, selon elle, «il existe une conviction raisonnable qu’elle avait exprimé son consentement, soit en se taisant, soit en faisant autre chose, ou n’importe quoi».

Accusée par Armstrong de suivre «un quasi-programme politique» en tant que DPP et de mettre en œuvre une «politique hostile aux jeunes hommes de la classe moyenne», voilà Alison Saunders qui s’empresse de s’en défendre en transformant toutes les Britanniques en boucs-émissaires des échecs de la justice pénale qu’elle dirige.

Une injustice contre une autre

La présomption d’innocence est un principe de droit sur lequel personne ne peut vouloir revenir, même dans un cas extrême comme le viol, sans quoi toute poursuite perdrait la moindre légitimité.

De là à établir une «présomption de consentement» contre les victimes, on voit mal comment le droit serait mieux servi, puisqu’il s’agirait en tout et pour tout de remplacer une injustice par une autre.

Un succès de cette politique au Royaume-Uni deviendrait partout ailleurs un dangereux précédent. Il s’impose de l’empêcher tant qu’il est encore temps.