«De la même manière que je n’accepte pas qu’un dirigeant étranger me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays, je n’en donne pas aux autres.» Par cette phrase devenue emblématique prononcée lors d’une conférence de presse au Palais de l’Elysée, Emmanuel Macron balayait le 24 octobre dernier toute critique envers son invité, le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi, Président de la République arabe d’Egypte, en visite officielle à Paris.
Pour le Président de la République française, la «souveraineté des Etats» et le «contexte sécuritaire» en Egypte justifiaient cette abstention volontaire de porter secours, en l’occurrence aux victimes de la répression dans un pays qui, depuis 2011 et la Place Tahrir, a acquitté son ancien tyran Hosni Moubarak et se trouve aujourd’hui dans une dictature encore pire que celle que dirigeait jadis ce dernier. Bref, les Droits Humains sont un luxe réservé aux pays développés. Entendre ces mots dans la bouche d’un Président français, le rêve de tout autocrate d’un pays du sud enfin réalisé.
Ce n’est pas autre chose qu’Emmanuel Macron est allé dire une semaine plus tard, le 31 octobre, devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour y défendre la nouvelle loi antiterroriste, celle-là même qui permet de sortir enfin de deux ans d’état d’urgence mais, comble de l’ironie, transforme en droit commun les dispositions d’exception de ce même état d’urgence.
«Les Droits de l’Homme sont des valeurs non solubles», déclarait ainsi le chef de l’Etat. En Europe seulement, alors. «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», disait Pascal. Avec Emmanuel Macron, les Droits Humains deviennent une valeur universelle qui cesse de l’être au-delà des Iles Lavezzi, le point le plus méridional de la France métropolitaine. Valeurs non solubles, sauf dans l’eau de la Méditerranée, où semble donc se dissoudre le moindre soutien français aux victimes d’un pouvoir issu de la révolution mais qui l’a désormais oublié.
De la torture désormais généralisée à la discrimination homophobe de plus en plus légale, le pouvoir égyptien mériterait pourtant bien des leçons en termes de Droits Humains. D’autant que la ligne rouge en termes d’Etat de droit est désormais franchie, puisque les troupes du Maréchal ont pour ennemis les avocats.
Une militante que la prison n’a pas fait taire
Selon l’avocat et Défenseur des Droits Humains (DDH) Taher Aboelnasr, sa consoeur Mahienour el-Masry, elle aussi DDH, originaire d’Alexandrie où elle vit et exerce, a été placée le 18 novembre en détention provisoire par un tribunal local pour avoir participé à une manifestation non autorisée, ce qu’une loi adoptée fin 2013 punit de manière plus sévère que jamais dans le pays.
Célèbre depuis son rôle de premier plan dans les rassemblements de la révolution égyptienne en 2011, Maître el-Masry, âgée de trente et un ans, milite depuis le milieu des années 2000 pour les prisonniers politiques et les droits des femmes, entre autres causes qu’une répression qui reste là où les gouvernants vont et viennent rend toujours aussi indispensables à défendre en Egypte.

Déjà condamnée plusieurs fois à la prison avant et depuis 2011, l’avocate a reçu de ses pairs une distinction, le Prix international des Droits de l’Homme Ludovic Trarieux en 2014. Avant elle, un seul avocat s’était vu décerner ce prix alors qu’il se trouvait en détention – Nelson Mandela, lauréat en 1985.
Cette fois-ci, ce n’est pourtant pas pour une cause liée de manière directe aux Droits Humains que la jeune avocate se retrouve derrière les barreaux. Tout citoyen, avocat ou non, aurait pu subir le même sort. Et cela n’en illustre que davantage l’acharnement judiciaire à son encontre.
Elle voulait dénoncer le mépris de la justice
Cette «manifestation interdite» que reprochent les autorités égyptiennes à Mahienour el-Masry, c’en était une, en juin dernier, contre le transfert de souveraineté par Le Caire à l’Arabie saoudite sur les Iles Tiran et Sanafir, en Mer Rouge. Décidée par le Gouvernement égyptien, dénoncée par la justice égyptienne, la cession des deux îles jouissant d’une position stratégique a créé un scandale à travers le pays, non dans une moindre mesure parmi les opposants au Maréchal al-Sissi, qui l’a néanmoins ratifiée au mépris de toute critique, de toute «leçon», dirait le Président Macron.

Pour la gauche égyptienne, cette cession, intervenant en dépit même d’une décision de la Haute Cour administrative qui avait souligné le caractère égyptien des deux îles, s’apparentait de la part de l’ancien chef d’état-major des Forces armées à la déroute de l’armée égyptienne lors de la Guerre des Six Jours contre Israël en 1967. Des milliers d’Egyptiens avaient dénoncé dans la rue ce qu’ils considéraient comme une trahison impardonnable.
Pour avoir été de ce nombre, et rien de plus, avec quatre autres personnes prévenues elle aussi du même délit, Maître el-Masry est maintenant incarcérée jusqu’à la tenue de son procès le 30 décembre.
Des leçons – ou des cours de soutien ?
Certes, Emmanuel Macron ne veut pas donner de leçons de Droits Humains à l’Egypte. Peut-être n’en possède-t-il pas les moyens juridiques, ce qui expliquerait qu’il ignore visiblement l’Article 23 des Principes de Base relatifs au Rôle du Barreau adoptés par l’ONU en 1990, qui commence de cette façon :
«Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion.»
Avant de décréter les Droits Humains solubles par-delà la Méditerranée, le Président de la République français, soucieux de ne pas donner de leçons, tirerait en revanche un bénéfice certain de quelques cours de soutien en la matière, puisque son expérience unique de victoire contre l’extrême droite à une élection présidentielle ne lui a pas suffi.
Il apprendrait ainsi que même la souveraineté nationale et les impératifs de sécurité n’excusent pas la répression massive. Sans oublier que, pour ce qui est de l’Egypte, emprisonner Maître el-Masry jusqu’à la fin de l’année pour sa seule participation à une manifestation pacifique ne rendra pas le pays plus sûr. Pas plus que la cession arbitraire d’une partie du territoire national à un autre Etat ne le rendra plus souverain, en tout cas.