Avant la tuerie d’Orlando qui vient de donner aux États-Unis «leur» Bataclan, étant par ailleurs l’attaque à main armée la plus meurtrière de l’histoire américaine, seule la destruction du World Trade Center le 11 septembre 2001 la surpassant, le dernier acte terroriste d’envergure au monde s’était produit le 8 juin à Tel Aviv (Israël), où deux Palestiniens avaient ouvert le feu sur des cafés et restaurants, tuant huit personnes et en blessant cinq autres – mode opératoire qui rappelle tragiquement, là encore, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Le Prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, a condamné sans équivoque la fusillade. Mais il a également exprimé sa «profonde inquiétude quant à la réaction des autorités israéliennes, laquelle comprend des mesures équivalant à une punition collective et qui ne feront qu’accroître le sentiment d’injustice et de frustration que ressentent les Palestiniens en ce moment de tension extrême» (traduction non officielle).
Il pointait du doigt l’annulation des quatre vingt trois mille permis accordés aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza pour se rendre en Israël à l’occasion du Ramadan, la suspension de deux cent quatre permis de travail détenus par des personnes présentées comme des parents des deux terroristes, et enfin le bouclage de leur ville de résidence par les forces de sécurité israéliennes.
Ni le Liban, touché par le terrorisme quelques jours avant Paris, ni la France donc, ni la Belgique, ni les États-Unis aujourd’hui n’ont eu droit à une telle mise en garde de l’ONU quant aux mesures de sécurité qu’ils ont prises pour protéger leur peuple. Pourquoi, dès lors, une telle sévérité envers Israël de manière spécifique ?

Les mesures de rétorsion brutales prises par le Gouvernement, qualifiées par l’ONU de «punition collective», ne pouvaient susciter une réaction différente. Quand bien même, depuis le début de ce millénaire, qu’importe le parti au pouvoir, l’État d’Israël n’a jamais été en mesure de faire face à une attaque ou une agression quelconque sans commettre à son tour des excès manifestes, se rendant in fine aussi indéfendable que ceux qui lui ont, la formule biblique (en l’occurrence chrétienne) prend ici tout son sens, jeté la première pierre.
Si elle n’est pas vraiment nouvelle de la part de l’État hébreu, cette attitude n’a jamais été en revanche aussi dangereuse qu’aujourd’hui pour le pays et pour son peuple, tant au plan militaire que juridique, Israël étant devenu un casse-tête pour le droit international et ses dirigeants, unanimement depuis la mort de Yitzhak Rabin et avec lui des Accords d’Oslo, y prenant un malin plaisir au détriment même d’Israélien(ne)s qui sont loin d’être unanimes à leurs côtés.
Jusqu’au maire de Tel Aviv, le travailliste Ron Huldai, ancien pilote de chasse, qui impute l’attentat dans sa ville à l’occupation par Israël des Territoires palestiniens : «Nous sommes peut-être le seul pays au monde ou un autre peuple se trouve sous notre occupation. Nous n’avons pas le courage de prendre des mesures pour envisager un accord».

Des ennemis coupables mais une défense indéfendable
Depuis que l’État d’Israël a été créé en 1948 – par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, ce dont ne peut pas se vanter tout pays au monde –, il connaît quasiment en permanence la guerre avec ses voisins ou le terrorisme, même si les attentats ont changé de style et d’auteurs au fil du temps. S’il est des États et organisations qui considèrent l’État hébreu comme illégitime en lui-même, donc de mauvaise foi dans leurs critiques, ce dernier est pourtant loin d’être exempt de toute responsabilité dans la situation d’affrontement permanent où il vit depuis presque soixante-dix ans.
Fondé par un vote des États membres de l’ONU, Israël se paye le luxe d’être dans le même temps le mauvais élève par excellence du droit international alors que c’est très exactement grâce à lui qu’il existe. Il en est ainsi depuis 1967 et la Résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée suite à l’annexion militaire pendant la Guerre des Six Jours des Territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, ainsi que du plateau du Golan pris à la Syrie et de la péninsule égyptienne du Sinaï, qu’Israël rendit toutefois à l’Égypte en 1979 en échange d’un traité de paix, le premier jamais conclu avec un pays arabe et qui conduisit à l’assassinat du Président égyptien qui en était à l’origine, Anouar el-Sadate.
Depuis l’échec des Accords d’Oslo, la seconde Intifada en 2000 et le retour du nationalisme avec l’élection d’Ariel Sharon en 2001, ainsi que l’évacuation en 2005 de Gaza qui tomba cependant deux ans plus tard sous le contrôle brutal du Hamas, «Mouvement de la Résistance islamique» financé et soutenu par l’Iran, les manquements d’Israël au droit international s’inscrivent davantage dans le cadre des affrontements armés proprement dits, les opérations militaires des Forces de Défense israéliennes (Tsahal) semblant ne plus connaître aucune retenue.

Successivement, Tsahal a affronté depuis lors :
– Le Liban, du 12 juillet au 14 août 2006, principalement les milices du Hezbollah, «parti de Dieu» pro-iranien, et dans une moindre mesure l’armée libanaise,
– Gaza, du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, où étaient à pied d’œuvre le Hamas, le Jihad islamique et les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa,
– Gaza, du 14 au 21 novembre 2012,
– Gaza, du 8 juillet au 26 août 2014.
Dans chacun de ces conflits, affirmer qu’Israël portait seul la responsabilité du déclenchement serait inexact, chacun de ses adversaires ayant des torts avérés qui lui sont propres. Il n’en demeure pas moins que chacune de ces campagnes sans exception fut marquée, côté israélien, par deux constantes : la disproportion entre attaque et défense et le non-respect des lois de la guerre.

Au Liban en 2006, ce fut l’enlèvement en juin de deux soldats de Tsahal, dont le caporal franco-israélien Gilad Shalit, qui fut l’élément déclencheur du conflit. Si l’attitude militaire israélienne pouvait se résumer en un insoutenable «Au Liban, il n’y a pas de civils ; chaque Libanais cache un combattant du Hezbollah», de l’autre côté de la frontière, on ne pouvait pavoiser, puisqu’estimant en retour qu’ «En Israël, il n’y a pas de civils ; ils sont tous réservistes». Mais au final, en termes de civils tués, ceux-ci intéressant plus encore que les morts de combattants le jus in bello, les bilans sont éloquents : côté libanais, entre 1 090 et 1 190, et côté israélien, 44.
A Gaza en 2008, Israël affirmait vouloir réagir à de constants tirs de roquettes Qassam sur la ville de Sderot, au sud du pays, et faire cesser l’approvisionnement en armement du Hamas via des tunnels souterrains depuis le Sinaï. Le déchaînement militaire israélien fut pourtant si fort qu’il fit de l’Opération «Plomb Durci» la plus violente offensive depuis la création d’Israël. Des installations civiles, dont des écoles et un local de l’ONU, furent prises pour cibles par Tsahal en violation de la Quatrième Convention de Genève de 1949. Gaza perdit 895 civils, et Israël, seulement trois.
En 2012, l’Opération «Pilier de Défense», visant à sanctionner Gaza pour de nouveaux tirs de Qassam sur le sud d’Israël, fit six morts côté israélien et 160 côté palestinien.
En 2014, après la création d’un gouvernement d’union nationale entre le Fatah et le Hamas, puis le meurtre le 12 juin de trois adolescents israéliens dans une implantation de Cisjordanie, commis par des membres du Hamas qui, comme le reconnut plus tard la police israélienne, n’avaient toutefois pas agi sur ordre de leur hiérarchie, Gaza vécut une nouvelle attaque meurtrière, l’Opération «Bordure protectrice», semblable à «Plomb Durci» mais qui marquait de la part de Tsahal une nette escalade dans la violence. Comme deux ans auparavant, Israël ne déplora que six civils tués, nombre qui contrastait nettement avec les 1 480 à 1 660 morts civils de Gaza – auxquels s’ajoutaient cette fois onze fonctionnaires des Nations Unies.
Chacune de ces guerres a donné lieu à une réaction mondiale en demi-teinte : autant les actes commis contre Israël étaient condamnés dans leur principe, à commencer par l’enlèvement du Caporal Shalit – qui retrouva finalement la liberté en 2011 –, autant l’État hébreu était appelé à faire preuve de retenue dans son exercice du droit à la légitime défense en cas d’agression reconnu par la Charte des Nations Unies.
Tout au moins, sur ce dernier point, jusqu’à «Bordure protectrice», lorsque ce droit même fut remis en question sur le plan juridique. Puisque Gaza, bien qu’évacuée par Israël et désormais entièrement sous contrôle palestinien, quoiqu’à travers le Hamas et non sous l’égide de l’État de Palestine membre de l’UNESCO et reconnu comme État non membre par l’ONU, demeure un Territoire occupé et relève donc de la responsabilité internationale d’Israël, comment Israël peut-il invoquer le droit à la légitime défense contre un territoire dont il est lui-même responsable ? Interrogation à laquelle ne pouvait qu’ajouter le déséquilibre militaire en faveur de Tsahal, la légitime défense impliquant une réponse égale, voire inférieure, à l’agression perpétrée.
Autant de cas dans lesquels une réaction militaire ne pourrait et ne devrait être que compréhensible de la part d’Israël, mais où les excès israéliens ont fait de situations claires d’agression au mieux des litiges aux torts partagés, au pire des retournements de situation où la victime devient coupable. Jusqu’à la mise en garde du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, qui est bien la dernière chose dont un pays frappé par le terrorisme a besoin mais dont ledit pays n’a rien fait pour ne pas la rendre indispensable. Bien au contraire.
Être défendable pour pouvoir défendre
Le problème est que, pour l’État d’Israël qui entend représenter le peuple et la foi juifs dans le monde entier, il n’existe aujourd’hui plus aucun droit à l’erreur. Pas même à la moindre réaction excessive à des actes hostiles, y compris lorsque ceux-ci ne peuvent être niés comme tels.
Niés, justement. C’est ce que sont devenus la Shoah, holocauste juif en Europe, et son souvenir, au motif qu’il serait illégitime de les invoquer car ils constitueraient, avancent les négateurs, le fondement de l’occupation israélienne de la Palestine. En France, l’humoriste devenu polémiste Dieudonné M’Bala M’Bala s’en fait le chantre, geste de la «quenelle», en fait un salut nazi entravé par le bras gauche, à l’appui.
Suite aux mesures prises contre lui par les pouvoirs publics, il a saisi les juridictions judiciaires françaises, en vain ; s’étant pourvu devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, il n’a pas eu plus de succès, puisque dans son arrêt, la juridiction a exclu le discours de haine du bénéfice de la liberté d’expression, en l’espèce antisémite, confirmant ainsi sa jurisprudence dans le cas d’une affiche islamophobe au Royaume-Uni.

Il n’est donc que regrettable que «Bordure protectrice» ait fourni au polémiste une occasion dont il n’aurait pas rêvé d’empoisonner la défense du peuple palestinien de son discours antisémite, attitude qu’avait d’ores et déjà condamné l’Association France-Palestine Solidarité. Sur ce seul fondement, deux manifestations contre l’offensive israélienne avaient été interdites à Paris par la Préfecture de Police, mesure qui ne pénalisait in fine que les militants de bonne foi et non les pollueurs de la cause que ceux-ci seraient venus défendre.
Et le problème se voit là encore, tel qu’il apparaît sur le terrain au Moyen-Orient ; autant les négateurs de la Shoah sous prétexte de soutien au peuple palestinien sont nuisibles, autant les abus d’Israël au plan militaire ne manquent pas d’être eux aussi nuisibles, car ne pouvant que nourrir ces manifestations d’antisémitisme et renforcer les tenants de l’amalgame entre judéité et oppression en Palestine.
Pour défendre son droit et ceux du peuple juif dans le monde comme il le souhaite, l’ONU le dit avec raison, l’État d’Israël doit d’abord devenir – enfin – défendable et le prouver par l’acte.