Article importé de l’ancien blog Intérêt Mondial (interetmondial.com)
État d’urgence. Sécurité. Nation. Patriotisme. Drapeaux tricolores aux fenêtres. Autant de notions qui n’appartenaient traditionnellement pas au vocable de la gauche, et qui, depuis les attentats à Paris et au Stade de France du 13 novembre 2015, ne quittent plus le discours du Gouvernement.
En de telles circonstances, qui pourrait reprocher aux dirigeants de la France de chercher à assurer la sécurité du territoire et à rassembler autour des valeurs de la République ? Et quel gouvernement, même «de gauche» pourrait s’en dispenser, sauf à s’avouer être totalement irresponsable et/ou doctrinaire ? Faire grief à l’Élysée et Matignon d’assumer depuis cinq mois le rôle qui leur échoit ne serait en aucun cas un procès de bonne foi.
Il est en revanche beaucoup moins compréhensible, pas davantage acceptable, de voir un gouvernement confronté à une telle menace, la couleur politique n’ayant aucune importance, créer une telle permanence de la torpeur ressentie après le drame, figeant le problème et sacralisant une identité de la victime au risque de scléroser la société et de la désarmer face à Daesh, dont l’on sait pourtant aujourd’hui que la France est la première cible.
En témoigne la manière dont des autorités qui n’ont de cesse de proclamer que les valeurs de la République sont directement visées par les terroristes, ce qui est simplificateur mais pour autant loin d’être entièrement faux, substituent de manière terrifiante à la défense de celles-ci un état d’esprit victimaire perpétuel et anesthésiant face à un risque sans cesse plus élevé.

La dramatisation blesse, l’ignorance volontaire tue
Face aux catastrophes majeures pouvant survenir sur le territoire, les acteurs de la gestion de crise – policiers, militaires, pompiers, personnels hospitaliers, conseillers ministériels etc. – savent qu’il est indispensable d’éviter dès les premières heures un certain nombre de dangers.
L’un d’eux s’appelle, dans le jargon idoine, les postures juridiques abruptes, en d’autres termes, l’attitude consistant à reléguer au second plan la gestion pratique de la catastrophe et de ses conséquences au profit d’affirmations abstraites, inspirées de principes théoriques et n’apportant rien à la résolution des problèmes concrets.
Deux d’entre elles tournent en boucle dans le discours du Gouvernement, en l’occurrence de son chef, le Premier Ministre Manuel Valls.
«Nous sommes en guerre», a-t-il déclaré une première fois le 14 novembre 2015 et une seconde le 22 mars dernier, après les attentats à l’Aéroport de Bruxelles-National et à la station Maelbeek du métro bruxellois.
Façon de désigner un ennemi extérieur (ou intérieur …) au rang duquel se voit bien inopportunément élevé Daesh, cet «État islamique» fantasmé, anti-historique, que revendique l’organisation terroriste. Et de signer au nom de la population un chèque en blanc aux institutions, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme et le Défenseur des Droits, entre autres, n’ayant pourtant pas manqué de rappeler plus d’une fois depuis lors à Manuel Valls que harangue politique et réalité juridique ne sont pas toujours compatibles. Chèque en blanc oui, mais sans provision.
«Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser», a-t-il décrété le 9 janvier 2016, lors du premier anniversaire de l’attentat contre l’Hyper Cacher.
Confusion volontaire dans l’esprit du public entre l’étude scientifique, y compris sociologique, indispensable à la compréhension de tout phénomène d’ordre criminel que l’on prétend combattre, et le sentiment d’indulgence, impossible en tout bon sens à l’égard de terroristes et devenant anathème contre quiconque rappellerait l’évidence – le savoir, c’est le pouvoir. Et dans le cas d’une «guerre» quelconque, la victoire.
Tout ce qu’il ne faut pas faire, et les praticiens de la gestion de crise le savent, comme ils savent le prix à payer pour la dramatisation et l’ignorance, a fortiori si elle est volontaire.
Ceux qui se rêvent auteurs de futurs attentats doivent rire aux éclats, voyant à quel point la cruauté et la lâcheté qu’ils se réjouissent par avance d’infliger à leurs victimes rendent psychorigide, donc vulnérable, une République française honnie dont ils n’en auraient jamais espéré tant. Mais qui réalise ainsi leurs espérances les plus folles, et c’est bel et bien là le pire.

Pour une société qui tienne en respect le terrorisme
A l’heure où la France et l’Allemagne commémorent les massacres de la Grande Guerre, célébrant la paix et l’amitié entre les deux pays nées de la prise de conscience d’après 1945, prendre les accents d’un Georges Clemenceau infroissable rend anachronique, si ce n’est indécent envers la mémoire de personnes qui n’avaient sans doute jamais de leur vie touché une arme, n’étant tombées que parce qu’elles voulaient prendre un repas en terrasse ou voir un groupe de rock jouer sur scène.
C’est désorienter le public en profondeur, transformant chaque acte de la vie civile en acte de guerre et induisant une conception absurde du danger, ce qui ne peut à terme que servir les terroristes en leur ouvrant grand les portes de «Paris, capitale de tous les vices», comme l’appelle Daesh, et finalement de la France entière.
Non, expliquer n’est pas déjà excuser. Edwin Bakker, chercheur en antiterrorisme à l’Université de Leyde, aux Pays-Bas, dissipe sans mal ce simplisme : «Comprendre ne veut pas dire que l’on ne peut pas condamner».
Non, nous ne sommes pas en guerre, du moins pas ici en France. Nous avons besoin de devenir, selon l’expression du même Edwin Bakker, une «société résiliente» où, à la prévention policière et judiciaire du terrorisme, réponde une gestion publique de la peur et du chaos qu’entraînent les attentats, buts premiers recherchés par les terroristes qui, les sachant impossibles à atteindre, perdent tout intérêt à frapper et sont vaincus d’avance.
Pour le psychologue suisse Yves-Alexandre Thalmann, «Être victime, ce n’est pas une identité ; c’est un moment». Le moment suivant est celui où l’on se ressaisit, et face au terrorisme, celui où se construit la résilience.
Cette victoire morale et humaine sur le terrorisme ne sera jamais possible à qui ne se conçoit que comme victime. Seul un peuple qui a appris à tenir en respect le terrorisme, à le menacer par sa seule conduite, en est capable. Et jamais un gouvernement au discours victimaire ne le lui permettra.
A reblogué ceci sur Droit est toujours raison.
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